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30 août 2009 7 30 /08 /août /2009 11:26
        Quentin Tarantino suscite de vives réactions dans la communauté cinéphile. D’aucuns lui vouent un véritable culte depuis le succès interplanétaire de Pulp Fiction. Ses partisans voient en lui le cinéaste-cinéphile qu’ils ne seront jamais. L’employé d’un video-store pote de Roger Avary (Killing Zoé, Les lois de l’attraction) est devenu le parfait exemple du self-made man du cinéma. C’est aussi et surtout LE geek du cinéma à faire fantasmer toute la communauté de jeunes ados cool à partir du milieu des années 90. Cependant, le personnage est loin d’être fédérateur.
C’est une icône parfaitement décriée par une autre tranche de cinéphiles horripilés par l’homme au débit de mitraillette, le flambeur m’as-tu-vu du cinéma de genre, l’égocentrique démesuré des festivals. Le principal grief adressé à l’artiste est celui d’être un pilleur de cinémas. Ses détracteurs lui reprochent de pomper allégrement le cinéma B et Z et d’avoir fonder son originalité et sa notoriété sur la méconnaissance du public des œuvres originales. Une sorte de « malhonnêteté » qui reste en travers de la gorge de certains amateurs du cinéma bis.

    En découvrant Inglorious Basterds, j’ai réalisé à quel point il était difficile de se cantonner à cette idée, tant son cinéma est complexe et intéressant. La personnalité de son art cinématographique se trouve quelque part dans l’espace qui s’établit entre les cinémas, les genres, les catégories (A, B et Z). D’une certaine manière, Inglorious Basterds est la démonstration construite et argumentée de ce qui fait de lui un auteur et non un compilateur.
La première chose qui surprendra tous ceux qui suivent la carrière du cinéaste est la grande sobriété de la mise en scène. Jackie Brown mis à part, on n’avait pas vu une telle réserve dans la direction des acteurs et le contrôle des espaces depuis les débuts du cinéaste. Dès l’ouverture, les plans en grand angle de la campagne donnent le ton. Tarantino sait où placer sa caméra, mais pas de n’importe quelle façon. La discussion qui s’entame dans la chaumière paysanne confirme la grande maîtrise du réalisateur. Tout est millimétré et pensé. La qualité des dialogues ont toujours été une force chez le réalisateur. Pas de longues diatribes envolées et gonflées aux hormones comme dans Boulevard de la mort, mais des répliques pesées et sèches comme un coup de trique. Les mouvements de la caméra sont limités mais les changements de focale sont utilisés pour construire la tension entre les personnages et le quiproquo de la situation. Les codes sont ceux du western. Que ce soit lors de la scène d’ouverture que pendant l’altercation dans la taverne, l’intensité des regards et l’aspect un peu factice des matériaux sont en décalage avec les principes des règles édictées par Hollywood concernant les films de guerre et les sujets sensibles comme la Seconde guerre mondiale.
Le réalisateur joue avec les codes de l’académisme cinématographique. A l’opposé de Walkyrie (2008) qui avait peu de distanciation par rapport à son sujet, Tarantino lui, fabrique un film qui de toutes pièces sent le surfait. Le cadre n’est pas réellement historique. Qu’importe, l’attention est portée sur l’interaction des personnages et la précision dans la manière de dépeindre les protocoles sociaux en vogue parmi la société allemande nazie. Le découpage de l’histoire en chapitres n’est pas nouveau. Cependant, contrairement aux films précédents, la cohérence du récit et des genres entre ses chapitres est relative. L’originalité du film tient sans doute à cet imbroglio d’intentions artistiques qui ne peuvent qu’être sciemment pensées pour mieux servir la cohérence de la démonstration. En cela, le récit (la manière dont est construire l’histoire et non le film) n’est pas au service du propos de l’auteur contrairement à la mise en scène et au montage.

    Un film anti-académique ? Inglorious basterds n’est pas qu’une simple diatribe contre les conventions, bien au contraire. Le notoire cinéphile de Tennessee offre au spectateur les références classiques du cinéma de l’époque. Le censuré Corbeau d’Henri-Georges Clouzot côtoie les films muets allemands (G.W Pabst, et l’acteur Emil Jannings, connu pour son rapprochement avec les idées nazies). Tarantino invite le spectateur à se pencher sur ce cinéma comme source d’inspiration pour réfléchir sur les sociétés de l’époque. Ces films d’auteurs sont devenus de nos jours l’adage de la culture des élites, en opposition avec le type de culture mis en valeur dans les films du cinéaste.
La logique semble alors évidente. Le bis peut-il, avec sa farce potache et sa grossièreté des traits, rencontrer et dialoguer avec le cinéma d’auteur pour servir des fins communes ? D’une certaine façon, Inglorious basterds est un exemple de dialectique possible entre les cultures et les cinémas.
La grande réussite de Tarantino et de son dernier film n’est pas de faire découvrir tout un pan de cinéma très lointain des préoccupations du grand public. Il est difficile de lui reprocher de n’être qu’un revanchard de la médiocrité (les séries B et Z sous les feux de la rampe de la série A). Il y a beaucoup de cinéastes dont son acolyte Robert Rodriguez qui le font tout très bien. Néanmoins sa grande qualité réside dans « l’étagement » de la réflexion de son film, et sa manière de faire communiquer les cinémas, les codes. C’est un cinéma qui se regarde faire, composer et qui réfléchit à la manière de rassembler et de fédérer les sensibilités de chacun d’entre nous. Une sorte d’œcuménisme cinématographique, l’intention doctrinale en moins.
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